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Pour aller plus loin…
Introduction
A l’origine perçue comme une approche d’amélioration de la production, particulièrement dans l’industrie automobile, le Lean Management s’est développé au sein de tous les secteurs industriels avant de s’étendre progressivement aux achats puis à l’Engineering et à l’ensemble des fonctions de l’entreprise.
Pour l’Engineering, le Lean Management est aujourd’hui reconnu par les équipes dirigeantes comme une approche porteuse de performances et de motivation des équipes, et ce d’autant que la valeur créée par cette fonction apparait de plus en plus critique dans nos économies mondialisées où la production devient une commodité.
Sans prétendre au définitif, ni à l’exposé dogmatique (peu importe pour nous de savoir si la politique de standardisation relève du Lean ou pas), nous nous proposons de recenser les clés qui garantissent la performance de cette démarche, où l’on trouvera en creux les raisons de certains échecs… Pour cela, nous nous réfèrerons à l’expérience des dirigeants que nous côtoyons. Le rôle de la Direction Générale est souvent mis en avant, tant cette démarche est avant tout managériale, et non pas réservée aux experts ou aux qualiticiens.
Nous nous intéresserons aussi en conclusion aux challenges et opportunités qu’offrent le déploiement de cette approche dans les secteurs de l’Ingénierie et du BTP où le management de grands projets est au cœur de l’activité économique.
Une démarche en pleine croissance
Issu, à l’instar du Lean Manufacturing, de l’industrie automobile (et de Toyota en particulier), le Lean Engineering se diffuse comme lui dans de nombreux secteurs. Parallèlement, il s’affranchit des caractéristiques culturelles si particulières du milieu qui l’a fait naître. Il se propage inexorablement sous la pression de la recherche de compétitivité et donne lieu au développement de multiples variantes et extensions. La plus fréquente est sans aucun doute le Lean-6 sigma, qui, doté d’un outillage conséquent, le rapproche de nos logiques occidentales. Aujourd’hui, le Lean Engineering fait partie intégrante de l’arsenal pour la compétitivité des Directions Générales et des Directions de Programmes dans la plupart des secteurs manufacturiers. Toutefois le côté contre-intuitif de certains de ses principes fondamentaux, combiné à leur aspect immatériel ont conduit nombre d’initiatives à des résultats décevants, voire à des échecs.
A l’heure où cette approche se déploie de plus en plus systématiquement, il nous apparaît important de s’interroger sur ses facteurs clés de succès.
En particulier comment combiner l’ambition de transformation en profondeur des pratiques de management à tous les niveaux de la fonction et la nécessité d’obtenir des résultats visibles et communicables à court terme ?
De quels résultats parle-t-on ?
Les résultats du Lean Engineering doivent être considérés sur deux plans : les gains directs et les gains induits.
En matière de gains directs, on constate que les champions du lean engineering réduisent de plus de 30% aussi bien les délais de mise sur le marché et que la dérive des coûts par rapport à l’objectif.
Ces gains doivent être complétés par les gains induits sur l’ensemble du périmètre de l’entreprise :
Avec cette perspective, on comprend que tous les acteurs de l’industrie se sentent concernés par cette approche, que les dépenses de R&D soient de 2% ou de 40% du chiffre d’affaires.
Ces résultats s’expliquent par un angle d’attaque original très différent des approches classiques basées sur toujours plus de productivité et le développement d’outils analytiques toujours plus sophistiqués. Comme le Lean Manufacturing, le Lean Engineering met la productivité directe au second plan pour se focaliser sur la maîtrise des délais. Cette maîtrise des délais qui implique d’une part un engagement individuel à tous les niveaux mais aussi un travail de coopération de toutes les fonctions clés tout au long du processus de développement.
Une démarche qui place l’homme au cœur de son dispositif
Si le Lean Engineering dispose d’outils et de techniques efficaces, son succès dépend de la capacité des équipes à s’approprier les principes sur lesquels il est fondé. Et parmi ceux-ci, le sens de l’engagement est probablement la clé de voute du dispositif, engagement sur la conformité et engagement sur les délais – les équipes doivent être à l’heure, au sens « complet conforme », pour les différentes revues et les managers doivent prendre les décisions à temps. Cette appropriation ne peut évidemment pas se réaliser en un jour : les habitudes de travail sont à transformer en profondeur, à tous les niveaux.
Dans ce contexte, les dirigeants doivent s’impliquer dans la conception et l’accompagnement du changement. Les outils et pratiques seront déployés en gardant à l’esprit qu’ils ne sont pas un but mais des moyens pour faire comprendre et sécuriser ces principes de management. Le rôle du dirigeant est fondamental pour garantir cet alignement permanent entre les moyens et le but qui reste, in fine, de faire évoluer en profondeur les pratiques et les valeurs des équipes.
Une démarche qui doit être adaptée au contexte de son application
Devant le succès du lean management dans la production, les tentatives de dupliquer l’approche dans l’ingénierie ont été nombreuses et trop souvent infructueuses. Les différences sont telles entre les deux univers que si les grands principes restent les mêmes, les pratiques concrètes sont très différentes. Pour la même raison, le Lean Engineering montrera des visages différents selon que l’on se trouve dans une entreprise qui lance des dizaines de nouveaux produits tous les ans ou dans une entreprise qui en lance quelques-uns dont la durée de vie dépasse 25 ans. D’où l’importance de comprendre en profondeur tant ces fameux principes que les fondamentaux du métier de l’entreprise. Il n’existe pas de solution « prête à l’emploi » pour déployer efficacement le Lean Engineering dans son entreprise. On peut toutefois faire ressortir quelques facteurs clés de succès que partagent les dirigeants que nous avons interrogés.
Les quatre composantes du Lean Engineering
La partie la plus visible du Lean Engineering se manifeste au travers des outils déployés pour gérer les opérations et faciliter le management du Progrès Continu. Le Management Visuel, les Obeya Rooms, les formats A3 montrent le plus concrètement l’évolution des pratiques.
Comme pour la production industrielle, la deuxième composante est constituée du Management par les Délais. En effet, il a montré une efficacité bien supérieure à celle du management de l’activité des ressources.
Le Management des risques et des opportunités constitue le troisième volet, le plus spécifique à l’ingénierie car il touche au cœur du savoir-faire du Chef de Projet
Enfin, le quatrième composante, la Politique de Standardisation, structure le portefeuille de projets pour exploiter les synergies possibles entre les projets.
Le progrès continu
Pratiquement dans ce domaine, le Lean Engineering met à disposition des équipes des outils robustes dans deux domaines : des outils de management opérationnel ainsi que des outils de diagnostic.
Pour un dirigeant, la valeur du déploiement des pratiques du Progrès Continu proposés par le Lean Engineering doit être considérée sous deux angles :
Le management par les délais
Le management par les délais permet un véritable saut de performance qu’on n’obtiendra pas par le progrès continu. En effet la déperdition d’énergie liée à la désynchronisation des travaux est la source principale de perte de productivité des équipes d’ingénierie. L’efficacité instantanée reste bien sûr un point de vigilance important mais second par rapport au respect des engagements de délai.
Pour y parvenir, le Lean Engineering propose trois principes majeurs :
Les principes du management par les délais sont contre-intuitifs. Ils remettent en cause bien des réflexes ancrés et se heurtent à la culture historique des responsables. Cette transformation exige d’entreprendre un effort de changement à la hauteur des enjeux. La nouvelle façon de manager se heurtera à des difficultés opérationnelles sur le terrain. Le rôle du dirigeant doit être, lorsque la vision et les principes sont arrêtés, de s’assurer que ces difficultés sont identifiées dès qu’elles surgissent et traitées en boucles courtes.
La maîtrise des délais permet des gains de productivité très importants. Elle n’affranchit pas de s’en préoccuper. Le dirigeant devra trouver dans la flexibilisation des ressources (externalisation, polyvalence, heures supplémentaires…) le moyen d’accompagner l’évolution des besoins en s’interdisant de surcharger les ressources. Surcharge dont la première conséquence sera le non-respect des délais.
Le management des risques
Contrairement au processus de production, par définition reproductibles et dont on vise la maîtrise totale (approches SPC, 6sigma…), les processus d’ingénierie comportent une part irréductible d’aléas. Ces aléas sont traditionnellement traités, dans les processus de développement produits par des « boucles » « essais-erreurs » Ces itérations réduisent progressivement l’incertitude mais sont onéreuses en coût et en délai. Parallèlement, elles maintiennent les équipes dans un environnement mouvant défavorable à l’efficacité collective. Par conséquent, la maîtrise des risques/opportunités est au cœur de la performance des équipes de développement produit. Notre expérience, et celle des dirigeants avec qui nous avons échangé, nous a conduit à retenir quatre leviers essentiels :
Parallèlement au déploiement de ces pratiques, le Dirigeant devra s’assurer que les projets sont dotés d’une référence robuste en matière de périmètre fonctionnel, de budget et de planning. En effet, le management des risques consiste à évaluer l’impact potentiel des événements par rapport à une référence. Sans référence, on ne peut pas arbitrer rationnellement.
La Politique de Standardisation/Modularité
Elle représente le dernier axe de transformation en profondeur du fonctionnement des équipes d’ingénierie. Son champs d’application est très vaste, depuis la standardisation des tâches au sein du processus de développement jusqu’aux politiques de développement produits. L’effet de levier de ces dernières est considérable. Leur objectif, dans le cadre d’un budget de développement forcément limité, est de définir un bon équilibre entre le besoin de lancement produits pour animer le marché et celui d’innover pour maintenir ou renforcer la position de ses produits. Elle traduit la stratégie « produit » de l’Entreprise – nombre de lancements produits, politique de plateforme/de produits génériques, investissement dans l’innovation – en portefeuille de projets de développement. Les enjeux sont considérables – baisse des coûts « non récurrents », productivité en fabrication, effets volume sur les achats, simplification de l’exploitation et de la maintenance simplification de la gestion des données techniques. Il s’agit là d’une extension considérable de l’ingénierie système qui doit sortir du cadre du projet pour considérer un flux de projets successifs et parallèles et en déduire une structuration optimale tant au plan de l’architecture du produit que de celle des processus de développement.
La mise en œuvre concrète de telles politiques doit bien sûr s’appuyer sur une vision cible et doit combiner 4 axes de transformation :
Comme le montre l’industrie automobile, la standardisation est un levier clé de la compétitivité de l’entreprise et c’est aussi un processus continu dont l’ambition est sans cesse croissante. En se lançant dans cette démarche le Dirigeant se heurte à deux difficultés majeures :
Conclusion
La recherche de l’excellence est une histoire sans fin
L’industrie automobile s’est engagée dans le Lean Engineering depuis plus de 20 ans maintenant. Elle continue à faire des progrès significatifs dans ce domaine, en particulier dans le domaine de la standardisation et de la modularité qui permettent une plus grande diversité au moindre coût ainsi qu’une mise sur le marché plus rapide. On ne voit pas aujourd’hui de ralentissement dans les progrès réalisés par cette fonction grâce à cette approche.
Ce constat est très encourageant pour les autres secteurs industriels qui se sont, le plus souvent, engagés plus tard sur cette voie.
Développer efficacement : oui mais quoi ?
Parallèlement à ces progrès qui portent sur le « comment développer efficacement ? », les entreprises se penchent de plus en plus sur la définition des produits à développer (le quoi ?) et ce sur deux plans :
Comme pour la production manufacturière, cette approche s’étend à d’autres secteurs
Si dans l’industrie, le Lean Engineering est aujourd’hui reconnu et déployé avec des maturités variables, il se propage progressivement dans tous les secteurs qui fonctionnent en mode projet en s’adaptant à leurs particularités. C’est le cas en particulier des investissements industriels, des entreprises d’Ingénierie ainsi que des métiers du Bâtiments et des Travaux Publics. Dans ces secteurs, le fonctionnement en mode projet laisse penser que les pratiques de lean engineering s’appliqueront. Mais elles doivent s’adapter aux spécificités : répétitivité encore plus faible ; localisation éclatée des équipes ; flux permanent de données entre la conception et la production ; fonctionnement en JV fréquent ; peu de maîtrise du cahier des charges…
Ces spécificités expliquent que ces secteurs soient moins matures que l’industrie manufacturière. Mais, si les standards sont plus difficiles à développer, ils sont souvent porteurs de plus de gains. Introduire le lean management dans la conduite des chantiers et dans leur conception permet de construire un langage commun entre deux mondes qui ne parlent pas le même langage aujourd’hui. La route est peut-être plus longue mais les enjeux sont tels que la majorité des grands acteurs s’engagent de plus en plus dans cette direction.